La critique, en interprétant, choisira et limitera. Mais si, comme choix, elle demeure en deça du monde qui s'est fixé dans l'art, elle l'aura réintroduit dans le monde intelligible où elle se tient et qui est la vraie partie de l'esprit. L'écrivain le plus lucide se trouve lui-même dans le monde ensorcelé de ses images. Il parle comme s'il se mouvait dans un monde d'ombres — par énigmes, par allusions, par suggestions, dans l'équivoque — comme si la force lui manquait pour soulever les réalités, comme s'il ne pouvait aller vers elles sans vaciller, comme si, exsangue et maladroit, il s'engageait toujours par-delà ses décisions, comme s'il renversait la moitié de l'eau qu'il nous porte. Le plus averti, le plus lucide, fait cependant le fou. L'interprétation de la critique parle en pleine possession de soi, franchement, par le concept qui est comme le muscle de l'esprit.
.fragments .fugitifs
..journal
Emmanuel Lévinas, La réalité et son ombre, in Les imprévus de l'histoire
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