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Veille 

Les voici donc dans cette chambre où depuis tant d'années, silencieusement, ils se sont accumulés autour de la table avec leur invisible rayonnement immobile et propice, faveur insigne de toutes les compréhensions : ces silences, qui sont le résultat final de toutes ces années de recherche, le seul résultat véritable et utile. Les silences qui sont l'humus de toute pensée, le parfait humus composé religieusement avec l'essence de toutes les vies qu'on aura rencontrées, croisées, suivies, aimées, comprises, souffertes, et qu'on avait ramenées individuellement de là avec tout ce qu'elles contenaient de profondeurs, toutes ces vies (devenues quoi ?) qu'on avait silencieusement replongées de la surface dans les profondeurs, à travers les pourritures, sans les souiller ni les meurtrir... Les silences qui sont la vie de chacun distillée dans la vie de tous par un seul héroïque et malheureux soldat, par un seul, qui est né seulement pour cela et qui travaille, qui travaille, infiniment invisible, infiniment inutile, infiniment sauveteur.

Armel Guerne, La nuit veille

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